L’histoire
Né en 1929 au fin fond de l’Oklahoma où réside toujours une partie de sa famille, Chet Baker fait irruption sur la scène du jazz dans les années cinquante aux coté de Stan Getz puis de Charlie Parker et Gerry Mulligan. L’emprise de la drogue perturbe sa carrière dès 1956 alors que, virtuose inspiré et novateur, il va de succès en succès, reconnu par ses pairs, sollicité même par le cinéma. Outre des archives et des témoignages, le film présente de larges moments d’une séance d’enregistrement de Chet Baker à Los Angeles en 1987 ainsi que les coulisses d’un concert lors du festival de Cannes, un an avant sa mort accidentelle en 1988.
Critique
Ce regard subjectif qui est l’essence et la force de Let’s Get Lost correspond parfaitement à la duplicité naturelle, au nomadisme intérieur du musicien. Il ne semble pas y avoir d’autre façon de le filmer qu’en gros plan ou en plan rapproché, en alternant la lumière crue du jour californien et le noire et blanc expressionniste, forcé par le tournage « à vif » des scènes nocturnes et noctambules. La scansion, par une magnifique contreplongée sur le visage mal rasé de Chet Baker, les cheveux flottant dans la nuit d’Hollywood, propose enfin une équivalence cinématographique de la musique « intérieure » que le trompettiste insuffle à ses romances. Ni apologie, ni discours documentaire, Let’s Get Lost restera comme un lumineux poème expressionniste, au sujet d’un petit cow-boy de l’Oklahoma, d’un petit blanc qui allait en faire baver à Miles et à Dizzy.
Jean-François Robic, Contreplongée, supplément de février 1990.
Bruce Weber
Né en 1946 à Greensburg, ville agricole et industrielle dont il est originaire, Bruce Weber découvre très jeune les joies du cinéma amateur en famille, avec sa sœur et son père. Après des d'études artistiques au Denison College dans l'Ohio, Weber s’en va étudier la photographie à l'Université de Princeton, puis à la New School de New York. C’est là qu’il organise sa première exposition en 1974. Ses premières photographies de mode sont publiées à la fin des années soixante-dix dans le magazine GQ dont Bruce Weber fait la couverture à de nombreuses reprises. Il devient l’ami des plus grands, Richard Avedon ou Art Kane. Vite reconnu comme un des pionniers de la photographie de mode masculine, il accède à la célébrité grâce aux campagnes de publicité pour Calvin Klein ou Abercrombie & Fitch. Son approche narrative de la photographie devient une signature et le porte tout naturellement vers les rivages du cinéma. Hasard étrange, Weber est amené à réaliser un documentaire sur un jeune boxeur américain qui ressemble à s’y méprendre à Chet Baker (Broken Noses, 1983) avant de s’attaquer à la figure du musicien lui-même, l’une de ses idoles, que les clichés de William Claxton ont immortalisée en « James Dean du jazz » dans les années cinquante. Collage d’images d’archives et d’extraits de films, de témoignages et d’enregistrements Let’s get Lost (1988) essaye de reconstituer la vie ou plutôt les vies et les visages du trompettiste, charismatique et tourmenté, au travers d’un récit volontairement subjectif. Le même parti-pris anime Nice Girls Don’t Stay for Breakfast (2018), qui se feuillette comme un recueil de photographies et d’interviews, dédié au culte de l’acteur Robert Mitchum. Par la succession des points de vue, le film donne de l’acteur une pure image fantasmatique. Fixes ou animés, les sujets de Bruce Weber sont des abstractions charnelles, des héros d’une mythologie américaine qui ne cesse de se réinventer.
Vincent Vatrican – Directeur de l’Institut audiovisuel de Monaco